[Cthulhu 1] S03E01 - Dans le reflet du bourbon
Publié : 27 oct. 2014, 17:09
Le chant de la ville résonne dans mon crâne comme une ode à la gueule de bois. J'essaie de me concentrer, de focaliser mon attention sur Johnston, le baveux qui débite d'une voix monocorde les détails scabreux de l'arrestation de sa cliente. "Honteux ! Scandaleux ! Intolérable !" Il s'époumone maintenant comme s'il s'échauffait avant le prétoire , comme s'il voulait me convaincre. Le scotch de cette nuit semble enrober les mots et je laisse mon esprit vagabonder.
Cette garce de ville m'a pris mon honneur, mes illusions, comme une épouse trompée qui reprend sa liberté. Je repense a Harry, à la dernière fois ou l'on a partagé un verre, dans ce rade miteux, le Harbinger. Jamais un bouge n'a aussi bien porté son nom : dès qu'Harry est entré dans mon champ de vision, j'ai su qu'il ne finirait pas l'année. Il me parlait d'un gros coup, comme un vulgaire casseur de coffres, un coup qui lui rendrait sa dignité. Il n'avait pas perdu la foi, lui. Il avait les yeux injecté de sang, j'aurai pu le prendre pour un camé, si je ne l'avais pas connu. Cette passion le dévorait, comme un feu de paille, pour ne rien laisser que des cendres et des regrets.
"Vous êtes d'accord, M. Mc Sweeney ?" Le baveux me ramène sur terre.
A vrai dire, j'ai rien écouté de son blabla, et j'ai la gorge sèche. Il me faut un verre, ou deux, pour y voir clair. J'opine vaguement, je serre la main molle qu'il avance vers moi d'un air dégoûté, et j'empoche l'enveloppe trop fine qu'il me désigne du regard, comme s'il avait honte de payer un gars dans mon genre. Bonsoir, monsieur le blafard.
Cette affaire a un goût foireux, celui du salopard qui sait qu'il va s'en tirer parce que la police est trop occupée a chercher un coupable idéal, et a fabriquer les certitudes qui vont avec.
Je sais que cette femme, Grass, n'a rien à voir la dedans. C'est probablement une enflure méprisante, comme tous ces rupins qui toisent le petit peuple, mais c'est pas cette avortone qui a maîtrisé Harry.
Je laisse derrière moi les hurlements des klaxons et l'odeur rassurante de LA, pour rejoindre cette maison de repos ou l'on prétend pratiquer la charité plutôt que le golf.
Au soleil de midi, sous une chaleur étouffante, je m'arrête devant le portail massif qui ceint la propriété de Miss Grass. Comme un présage funeste, un corbeau décolle à mon arrivée dans un croassement ironique, comme un écho aux sombres pensées qui tournent trop vite sous mon crâne trop lourd.
- Puis-je vous aider, monsieur ? Vous êtes attendu ?
Le type qui me fait face est préoccupé, ses mains tremblent nerveusement ; probablement un pauvre gus qui va finir à la soupe populaire si sa patronne part au trou. A la vue de ma carte, et de l'objet de ma visite, il ouvre en grand et me précède, presque en courant, non sans me lancer par dessus son épaule des regards implorants. C'est fou comme le péquin moyen a besoin de sentir que son destin est entre de bonnes mains, au point parfois de s'en remettre à un privé en déveine, aux yeux cernés par l'alcool et le remord, et à l'imper élimé. Ce serait hilarant, finalement, si ce n'était pas si dramatique.
Le hall est richement décoré, la bâtisse a l'air immense, et le silence qui y règne a de faux airs de veillée funèbre. La Dame n'est pas là, paraît-il, elle est à Chinatown, mais va bientôt revenir. Alors en l'attendant, je discute avec un psy, un type dégingandé qui me raconte un peu ce qu'il sait de l'affaire, de ce meurtre étrange imputé à la taulière, qui a eu le mauvais goût de se trouver sur la scène du crime, l'arme à la main ... Drôle d'idée.
Et comme le ci-devant n'a pas grand chose d'utile à m'apprendre, je reste à flâner dans la bibliothèque, qui se trouve être utilement pourvue d'un bar généreusement doté. Le temps passe mieux et plus vite lorsque l'on s'accorde une ou deux bonnes lampées de whiskey, autant pour s'éclaircir les idées, que pour chasser les plus noires d'entre elles.
Miss Grass finit par revenir, accompagnée d'une drôle de brochette d'amis, un lord anglais, une étudiante à moitié chink qui recherche des gamins disparus, et une fille avec des airs d'irlandaise qui semble mal prendre le fait d'être présentée comme la secrétaire du Lord. Les visages sont graves, et personne ne semble à la fête en voyant ma dégaine.
Ne voyant pas trop l'intérêt de me perdre en présentations et discussions mondaines, alors j'attaque directement en interrogeant Miss Grass sur le meurtre et ses circonstances. Et là, j'dois reconnaître que sans mon absolue certitude qu'elle est innocente, je la condamnerais volontiers : elle est incapable d'expliquer précisément qui était la victime, un pauvre type des projects qu'elle aurait pris en pitié et ramené dans son institution, sans même connaître son identité ou son histoire, et apparemment sans avoir trop pris le temps d'en discuter avec la famille. Mieux encore, alors que ce type était amnésique, et qu'elle ne savait pas s'il pouvait-être dangereux, elle a eu l'idée brillante de s'enfermer à clé avec lui, sans poster de garde ou d'infirmier de l'autre côté de la porte. Une tarée voulant faire un carton sur un clodo sans témoins ne s'y serait pas pris autrement. L'affaire pue plus qu'un cadavre de cinq jours.
Son entourage hétéroclite n'est pas plus utile pour la disculper, ce qui n'arrange guère mes affaires. La seule information utile qu'ils consentent à me lâcher, porte sur l'ancien jardinier, démissionnaire du jour au lendemain, qui vient des'acheter une maison. Ils le soupçonnent fortement d'avoir dénoncé Frida, en échange d'une coquette somme d'argent versée par une raclure de promoteur véreux qui lorgne sur la propriété de Grass. C'est maigre, mais c'est toujours un début
A ce stade, y'a plus rien d'utile à faire ici pour l'instant, je me barre pour reprendre l'affaire au début, comme à l'école : premier arrêt, le police precinct, où j'extrais ce que je peux comme données. Le rapport du légiste, une photo de l'arme du crime (une aiguille aux motifs chinois, peut être un accessoire de coiffure), et quelques infos sur ce fameux jardinier qui bosse maintenant pour le promoteur véreux, et se trouve fort utilement être un clando. J'en profite pour fouiner dans le dossier des autres victimes, histoire de trouver un fil conducteur. L'un d'entre eux seulement est lié au promoteur, un administrateur du service des eaux, Barry Gitten. Sa veuve accepte de me laisser fouiner dans ses affaires, mais je ne trouve pas grand chose, hormis les plans de ce qui semble être un futur barrage, avec des parcelles à exproprier dont certaines sont entourées en rouge. M'est avis que ça fleure bon la spéculation crapuleuse.
Tant qu'à y être, je rends une petite visite de courtoisie à la piaule de Coltrane, pour y dégotter de quoi justifier sa mort. Et là, pas de doutes, il était sur une piste, il avait presque rassemblé assez de preuves pour faire tomber un parrain de la pègre chinoise, sévissant à Chinatown.
Cette ville ne rate jamais une occasion de faire étalage de sa pourriture, et toujours de la manière la plus abjecte.
De retour à la maison de repos de Grass, je suis accueilli par un feu roulant de questions. Apparemment, au lieu de sortir leur patronne du trou, ses "amis" ont préféré enquêter sur moi, et on découvert mon lien avec Harry. Ma foi, y'a pas grand chose à dire, sauf quand il s'en trouve un assez niais pour me demander de garantir que ma vengeance ne compromettra pas la situation de sa patronne, et que je ne ferai rien d'illégal pour identifier le coupable. Pauvre type. S'il y avait un seul moyen légal d'obtenir justice dans cette marmite de pus nommée L.A., y'aurait pas besoin de mecs comme moi. Les flics feraient leur boulot, les politicards protègeraient les plus vulnérables, et on se baladerait tous en tutu rose.
Mais voilà, la réalité est plus sombre, buddy. Lorsqu'on partage nos infos, mes nouveaux amis semblent focalisés sur un restaurant des triades, la Rivière de Jade ou quelque chose d'approchant. Je crois avoir lu ce nom dans les dossiers d'Harry.
Le contenu du dossier du légiste apporte quelques éléments, comme la présence d'un schéma répété sur les victimes : la chinoise y décèle une sombre histoire d'acupuncture, je crois, mais le fait est que ces meurtres sont ritualisés, sous une apparence de boucherie.
Ils semblent aussi très intéressés par la piste de Vito Gamboni, et par des histoires de fantômes à dormir debout. Tellement partis dans leurs idées, d'ailleurs, qu'ils veulent organiser une séance d'hypnose, pour essayer de rendre la mémoire à Frida Grass, sur ce qui s'est passé juste avant qu'elle ne se réveille dans un bain de sang.
Je ne sais pas trop ce qui a pu se passer pendant cette séance, mais elle revient toute chamboulée, et soliloque à propos d'un fantôme. Et le plus beau, c'est qu'elle a suffisamment d'influence sur ses sbires, pour les convaincre d'aller de nuit au cimetière de Little Italy, déterrer ce brave Vito Gamboni, pour vérifier qu'il est bien couché là où il devrait être.
Pour moi, c'est rideau. Déjà embrumé par l'alcool, je n'en suis pas encore à profaner des sépultures à la recherche de fantômes; très peu pour moi, merci madame.
Cette garce de ville m'a pris mon honneur, mes illusions, comme une épouse trompée qui reprend sa liberté. Je repense a Harry, à la dernière fois ou l'on a partagé un verre, dans ce rade miteux, le Harbinger. Jamais un bouge n'a aussi bien porté son nom : dès qu'Harry est entré dans mon champ de vision, j'ai su qu'il ne finirait pas l'année. Il me parlait d'un gros coup, comme un vulgaire casseur de coffres, un coup qui lui rendrait sa dignité. Il n'avait pas perdu la foi, lui. Il avait les yeux injecté de sang, j'aurai pu le prendre pour un camé, si je ne l'avais pas connu. Cette passion le dévorait, comme un feu de paille, pour ne rien laisser que des cendres et des regrets.
"Vous êtes d'accord, M. Mc Sweeney ?" Le baveux me ramène sur terre.
A vrai dire, j'ai rien écouté de son blabla, et j'ai la gorge sèche. Il me faut un verre, ou deux, pour y voir clair. J'opine vaguement, je serre la main molle qu'il avance vers moi d'un air dégoûté, et j'empoche l'enveloppe trop fine qu'il me désigne du regard, comme s'il avait honte de payer un gars dans mon genre. Bonsoir, monsieur le blafard.
Cette affaire a un goût foireux, celui du salopard qui sait qu'il va s'en tirer parce que la police est trop occupée a chercher un coupable idéal, et a fabriquer les certitudes qui vont avec.
Je sais que cette femme, Grass, n'a rien à voir la dedans. C'est probablement une enflure méprisante, comme tous ces rupins qui toisent le petit peuple, mais c'est pas cette avortone qui a maîtrisé Harry.
Je laisse derrière moi les hurlements des klaxons et l'odeur rassurante de LA, pour rejoindre cette maison de repos ou l'on prétend pratiquer la charité plutôt que le golf.
Au soleil de midi, sous une chaleur étouffante, je m'arrête devant le portail massif qui ceint la propriété de Miss Grass. Comme un présage funeste, un corbeau décolle à mon arrivée dans un croassement ironique, comme un écho aux sombres pensées qui tournent trop vite sous mon crâne trop lourd.
- Puis-je vous aider, monsieur ? Vous êtes attendu ?
Le type qui me fait face est préoccupé, ses mains tremblent nerveusement ; probablement un pauvre gus qui va finir à la soupe populaire si sa patronne part au trou. A la vue de ma carte, et de l'objet de ma visite, il ouvre en grand et me précède, presque en courant, non sans me lancer par dessus son épaule des regards implorants. C'est fou comme le péquin moyen a besoin de sentir que son destin est entre de bonnes mains, au point parfois de s'en remettre à un privé en déveine, aux yeux cernés par l'alcool et le remord, et à l'imper élimé. Ce serait hilarant, finalement, si ce n'était pas si dramatique.
Le hall est richement décoré, la bâtisse a l'air immense, et le silence qui y règne a de faux airs de veillée funèbre. La Dame n'est pas là, paraît-il, elle est à Chinatown, mais va bientôt revenir. Alors en l'attendant, je discute avec un psy, un type dégingandé qui me raconte un peu ce qu'il sait de l'affaire, de ce meurtre étrange imputé à la taulière, qui a eu le mauvais goût de se trouver sur la scène du crime, l'arme à la main ... Drôle d'idée.
Et comme le ci-devant n'a pas grand chose d'utile à m'apprendre, je reste à flâner dans la bibliothèque, qui se trouve être utilement pourvue d'un bar généreusement doté. Le temps passe mieux et plus vite lorsque l'on s'accorde une ou deux bonnes lampées de whiskey, autant pour s'éclaircir les idées, que pour chasser les plus noires d'entre elles.
Miss Grass finit par revenir, accompagnée d'une drôle de brochette d'amis, un lord anglais, une étudiante à moitié chink qui recherche des gamins disparus, et une fille avec des airs d'irlandaise qui semble mal prendre le fait d'être présentée comme la secrétaire du Lord. Les visages sont graves, et personne ne semble à la fête en voyant ma dégaine.
Ne voyant pas trop l'intérêt de me perdre en présentations et discussions mondaines, alors j'attaque directement en interrogeant Miss Grass sur le meurtre et ses circonstances. Et là, j'dois reconnaître que sans mon absolue certitude qu'elle est innocente, je la condamnerais volontiers : elle est incapable d'expliquer précisément qui était la victime, un pauvre type des projects qu'elle aurait pris en pitié et ramené dans son institution, sans même connaître son identité ou son histoire, et apparemment sans avoir trop pris le temps d'en discuter avec la famille. Mieux encore, alors que ce type était amnésique, et qu'elle ne savait pas s'il pouvait-être dangereux, elle a eu l'idée brillante de s'enfermer à clé avec lui, sans poster de garde ou d'infirmier de l'autre côté de la porte. Une tarée voulant faire un carton sur un clodo sans témoins ne s'y serait pas pris autrement. L'affaire pue plus qu'un cadavre de cinq jours.
Son entourage hétéroclite n'est pas plus utile pour la disculper, ce qui n'arrange guère mes affaires. La seule information utile qu'ils consentent à me lâcher, porte sur l'ancien jardinier, démissionnaire du jour au lendemain, qui vient des'acheter une maison. Ils le soupçonnent fortement d'avoir dénoncé Frida, en échange d'une coquette somme d'argent versée par une raclure de promoteur véreux qui lorgne sur la propriété de Grass. C'est maigre, mais c'est toujours un début
A ce stade, y'a plus rien d'utile à faire ici pour l'instant, je me barre pour reprendre l'affaire au début, comme à l'école : premier arrêt, le police precinct, où j'extrais ce que je peux comme données. Le rapport du légiste, une photo de l'arme du crime (une aiguille aux motifs chinois, peut être un accessoire de coiffure), et quelques infos sur ce fameux jardinier qui bosse maintenant pour le promoteur véreux, et se trouve fort utilement être un clando. J'en profite pour fouiner dans le dossier des autres victimes, histoire de trouver un fil conducteur. L'un d'entre eux seulement est lié au promoteur, un administrateur du service des eaux, Barry Gitten. Sa veuve accepte de me laisser fouiner dans ses affaires, mais je ne trouve pas grand chose, hormis les plans de ce qui semble être un futur barrage, avec des parcelles à exproprier dont certaines sont entourées en rouge. M'est avis que ça fleure bon la spéculation crapuleuse.
Tant qu'à y être, je rends une petite visite de courtoisie à la piaule de Coltrane, pour y dégotter de quoi justifier sa mort. Et là, pas de doutes, il était sur une piste, il avait presque rassemblé assez de preuves pour faire tomber un parrain de la pègre chinoise, sévissant à Chinatown.
Cette ville ne rate jamais une occasion de faire étalage de sa pourriture, et toujours de la manière la plus abjecte.
De retour à la maison de repos de Grass, je suis accueilli par un feu roulant de questions. Apparemment, au lieu de sortir leur patronne du trou, ses "amis" ont préféré enquêter sur moi, et on découvert mon lien avec Harry. Ma foi, y'a pas grand chose à dire, sauf quand il s'en trouve un assez niais pour me demander de garantir que ma vengeance ne compromettra pas la situation de sa patronne, et que je ne ferai rien d'illégal pour identifier le coupable. Pauvre type. S'il y avait un seul moyen légal d'obtenir justice dans cette marmite de pus nommée L.A., y'aurait pas besoin de mecs comme moi. Les flics feraient leur boulot, les politicards protègeraient les plus vulnérables, et on se baladerait tous en tutu rose.
Mais voilà, la réalité est plus sombre, buddy. Lorsqu'on partage nos infos, mes nouveaux amis semblent focalisés sur un restaurant des triades, la Rivière de Jade ou quelque chose d'approchant. Je crois avoir lu ce nom dans les dossiers d'Harry.
Le contenu du dossier du légiste apporte quelques éléments, comme la présence d'un schéma répété sur les victimes : la chinoise y décèle une sombre histoire d'acupuncture, je crois, mais le fait est que ces meurtres sont ritualisés, sous une apparence de boucherie.
Ils semblent aussi très intéressés par la piste de Vito Gamboni, et par des histoires de fantômes à dormir debout. Tellement partis dans leurs idées, d'ailleurs, qu'ils veulent organiser une séance d'hypnose, pour essayer de rendre la mémoire à Frida Grass, sur ce qui s'est passé juste avant qu'elle ne se réveille dans un bain de sang.
Je ne sais pas trop ce qui a pu se passer pendant cette séance, mais elle revient toute chamboulée, et soliloque à propos d'un fantôme. Et le plus beau, c'est qu'elle a suffisamment d'influence sur ses sbires, pour les convaincre d'aller de nuit au cimetière de Little Italy, déterrer ce brave Vito Gamboni, pour vérifier qu'il est bien couché là où il devrait être.
Pour moi, c'est rideau. Déjà embrumé par l'alcool, je n'en suis pas encore à profaner des sépultures à la recherche de fantômes; très peu pour moi, merci madame.